Texte de Sophie BERTRAND

« Nous ne sommes pas faites pour avoir le poil rare et être incapables de bondir, de chasser, de donner la vie, de créer la vie.

Quand la vie des femmes est en état de stase ou bien est pleine d’ennui, il est temps qu’émerge la femme sauvage. »

Femmes qui courent avec les loups, Clarissa Pinkola Estès

 

D’abord il y a ces corps féminins qui se lèvent. Ils échappent à leur évidente sensualité. La générosité des formes, l’ossature charpentée commencent à murmurer les incantations des cinq années qui suivront : la femme est forte. Elle n’a nul besoin de faire assaut d’agressivité ou d’avoir recours à une quelconque violence pour l’affirmer. Elle se redresse, prête à vivre. Elle est là, au cœur du monde. Qu’il soit de face ou de dos, son corps s’éveille. Les mains sont immenses prêtes à embrasser le présent qui jaillit. S’élever ne fait pas perdre son ancrage : se devinent les pieds en prise avec la terre brute et nourricière. Le visage importe peu. Cette femme est nous toutes et tous. Les couleurs et le geste sûr de l’artiste suffisent à insuffler émotion et sens à ces silhouettes indépendantes.

Nu et en mouvement, le corps est en joie. Il n’a plus d’entraves, il réfute les oppositions faciles. Les œuvres de Marie-Christine Palombit se regardent mais s’écoutent aussi. Que vos yeux entendent le chant inédit qu’elles font résonner : Le ciel et la terre ne s’opposent pas mais sont les miroirs l’un de l’autre, la pensée reste inféconde si les sens sont éteints. Ce corps qui a commencé par se lever, n’hésite plus à se pencher vers l’infiniment petit puis, d’une cambrure, à se tendre vers ces espaces infinis derrière les ciels. Il s’agit de réunir des mondes que l’on ne soupçonnait pas ou que l’on rêvait tels des trésors insaisissables. Tout devient à portée de geste. Habité par une audace nouvelle, le corps n’a pas peur des gesticulations. Il mime l’animal si besoin, il se confond avec le minéral quand nécessaire. Il sait que cette transe sera révélatrice. Cette intuition devient une certitude. C’est donc l’instinct. Les ombres des louves et des renardes rôdent, calmes, dans quelques tableaux. L’heure est venue d’accepter avec sérénité l’état sauvage.

Rien n’est imposé. Pas de fracas, pas de rupture, aucun mot d’ordre. Marie-Christine Palombit nous invite à un rite de passage troublant, jamais traumatisant. Les tableaux sont des chamanes protecteurs qui par leur force vibratoire nous emmènent, au rythme des corps qui bougent, dansent, courent, rampent, vers une nature puissante, hybride et féminine. La série de photos « les sauvages in situ » ose réinventer l’anatomie d’un humain, d’un aigle ou d’un chien : Les silhouettes en mouvement sont faites de paysages composés de forêts, de pierres et de fougères éparses. Cette symbiose organique impose l’évidence du vivant : l’écosystème de la vie est en chacun de nous. Beaucoup le glose, Marie-Christine Palombit le révèle en usant de tous ses talents : les œuvres calligraphiques permettent de pointer la délicatesse commune à un mouvement féminin et à une feuille échappée d’un herbier. Les tâches d’encre sont les empreintes captivantes d’un homme agité. L’énergie prend toute sa place et le corps lui-même devient chamanique. Les successives mutations opérées à travers l’art pictural sont autant de renaissances de l’artiste elle-même.

Délicate dans la manière toujours renouvelée de nous dévoiler les corps à corps, l’artiste a, cette fois-ci, réinventé les frontières entre les matières du monde vivant. L’animal se fait femme et vice-versa, la faune et la flore forment une continuité heureuse. Ces cinq dernières années, Marie-Christine Palombit a eu la générosité et l’élégance de nous inviter à un voyage déroutant où tout est possible pour le Soi sauvage qui est en chacun et chacune de nous.

Sophie BERTRAND, Maître de conférences associé à Paris IV, Faculté de Lettres La Sorbonne, responsable de Gallica à la BnF