Interview d’hubbubART

Bonjour Marie-Christine Palombit et merci pour le temps que vous m’accordez.

 

Commençons par le commencement. Quand avez-vous commencé à toucher au dessin et à réaliser   l’importance que cela avait pour vous ?

« J’ai commencé à dessiner spontanément comme tous les jeunes enfants et j’ai continué à le faire de manière plus insistante à partir de l’âge de six ans. Etant une enfant extrêmement timide, j’ai compris plus tard avec le recul que le dessin m’avait permise de rentrer en contact avec le monde sous différentes formes. Ensuite il y a eu la vie, les choses qui m’ont propulsées vers le monde. Mais le moment où j’ai senti que cela allait être crucial est arrivé très tôt, c’était au départ une manière naturelle de m’exprimer. Cela a évolué, mais comme j’étais toujours très discrète ma mère m’inscrivait à des concours et des expositions. Elle m’a donné la possibilité de faire mes premier pas , aussi dans ce domaine. A treize ans j’ai participé à un concours d’affiches pour la ville de Bagneux, et à d’autres expositions de la ville à la même époque. J’y allais avec beaucoup de pudeur et de réserve.

Le dessin m’a aussi donné la possibilité de faire des études merveilleuses à l’école Camondo pour être architecte  d’intérieur. N’étant pas d’une famille qui cultivait ce type de préoccupations, je n’ai pas fait une école  comme les Beaux-Arts par exemple, c’était un milieu très simple et le statut « d’artiste » ne pouvait être en aucun cas pour moi. Je me suis naturellement tourné vers un « vrai » métier. On peut se poser la question, qu’est-ce qu’un vrai métier ? Mais bref… C’était comme ça que je pensais ma vie à cette époque-là.

Après dix ans d’architecture intérieure, j’ai senti la nécessité de revenir à la source de ce qui avait été déclencheur de ce  métier. C’est là que j’ai commencé à rencontrer de plus en plus d’artistes, notamment Ben Ami Koller et Gérard Bignolais. Ces deux personnes m’ont réellement mise en marche. C’est en 91 que j’ai commencé à exposer et arrêté mon activité d’archi ».

 

Avez-vous un souvenir d’enfance d’un dessin que vous avez réalisé et qui vous a fait ressentir des émotions fortes ?

« C’est un dessin que j’avais fait vers l’âge de huit ans pour la fête des pères. Je l’avais réalisé à la plume à partir  d’un dessin d’une estampe de Geisha. Du point de vu psychanalytique c’est un peu caricatural, mais le dessin était très réussi pour mon jeune âge. Mon intérêt pour l’Asie et sa culture pointaient déjà son nez de façon totalement inconsciente ».

 

Pourquoi le dessin ? Pourquoi vous faites ça ?

« Je crois dans un premier temps que c’est parce que je veux savoir qui je suis. Par la pratique du dessin, lorsque je touche de temps en temps des éléments qui font écho à ma véritable nature, je ressens immédiatement un besoin viscéral de transmettre quelque chose de l’ordre de cette découverte. Il faut savoir que j’ai enseigné aussi pendant plus de quarante ans dans les écoles d’art et ce processus me prend toujours aux tripes. J’ai besoin de transmettre et communiquer quelque chose que j’ai reçu par le biais de la création. Cela rejoint la petite fille agitée que j’étais et qui avait un besoin vital et urgent de communiquer avec le monde. Je suis toujours très attirée par tout processus de vie, cheminement, parcours, évolution, savoir comment les choses se fabriquent, se font et se transforment ».

 

Si vous ne vous étiez pas tournée vers le dessin, vers quoi seriez-vous allée ? En quoi le dessin a  façonné votre individualité ?

« Si je n’avais pas eu cela, j’aurais forcément fait un métier pour aider les autres, tourné vers le social.   Mais c’est vrai que sans la création je ne sais pas ce que j’aurais fait, c’est bien là que je constate que j’ai toujours été artiste, mais qu’il a fallu que je le découvre en acceptant cet état. Je n’avais pas d’autre choix, si je voulais être au plus près de moi-même et écouté ce qui m’était dicté intérieurement ».

 

Quel a été le premier dessin d’un artiste qui vous a transpercée au niveau de la représentation ?

« Ce qui me vient spontanément à l’esprit est le travail de Ben Ami Koller. Je l’ai rencontré fin années 80. Quand j’ai vu son travail , c’était à la Galerie Pierre et Marie Vitoux, je me suis dit « Ah oui ? C’est possible de faire ça aujourd’hui ! Incroyable ! ». Une porte s’est ouverte à ce moment-là, de cœur à cœur, il y avait quelque chose de très touchant dans ce qu’il proposait ».

 

Vous avez des thèmes que vous préférez dessiner, la nature, le corps. Que pouvez-vous nous dire de cette profonde inspiration qui est la vôtre ? Que représente le corps / quelle en est la symbolique ?

« Quand je me suis décidée à faire mes premières expositions, je me suis tout d’abord demandé ce que j’avais à dire. Je partais de zéro. Comme j’avais déjà dessiné beaucoup de choses pendant mes années d’études et plus tard, j’ai choisi de dessiner le corps car j’avais constaté que c’était un puit sans fond et un sujet où je ne m’ennuyais jamais. De fil en aiguille j’ai découvert que dessiner le corps de l’autre revenait à aller chercher le secret qu’il détenait, son mystère. J’ai découvert que notre corps contenait notre histoire émotionnel et était un livre d’une grande richesse à qui savait l’ouvrir, il témoignait de nos émotions, celles qui nous avaient façonnées, forgées et définies ».

 

La photographie que vous nous avez envoyée de vous dévoile votre corps nu. Le corps est-il toujours représenté nu ? Quelle est l’impact de la nudité dans la transmission artistique ?

« Je n’aime pas forcément me montrer mais si c’est pour faire passer un message je peux le faire, bien sûr. Je travaille avec le corps de la femme nue. Mon corps, ou ceux qu’il y a sur mes toiles, sont les mêmes. Très vite à partir de 98 avec la série « Les Baleines » je ne représente plus les têtes, j’ai commencé à me focaliser sur la posture même du corps comme vecteur d’émotions et de révélation de ce que l’on est sans fard. La vérité nue passe par le corps, celui que l’on cache habituellement, plus que par le visage, toujours visible, dans notre culture en tous cas ».

 

Pourquoi les corps de femmes en particulier et pas d’hommes par exemple ? Faites-vous une distinction artistique ?

« Depuis quelques années j’étais dans la recherche de rencontrer mon féminin sacré. Quand j’étais adolescente, on m’appelait « Monsieur » ou encore « Jeune homme ». J’avais été éduquée comme un garçon et en avais toutes les allures. Cela m’avait interrogée. Pendant longtemps j’ai beaucoup utilisé ma polarité masculine pour pouvoir avancer et contrer ma timidité. Alors que l’énergie masculine dirige, tranche, appelle, celle du féminin, ouvre, reçoit , accueille, telle une coupe. Les deux sont complémentaires et je recherchais sincèrement un équilibre intérieur ».

J’ai senti que j’allais pouvoir par le dessin, la peinture et le pouvoir de la création rencontrer  mon énergie féminine, l’apprivoiser l’intégrer et l’incarner.

En 2015, j’ai participé au premier rassemblement des Femmes Loups dans le désert d’Arizona. Nous étions quarante femmes, nous avons marché, médité dans cette nature forte et suivi des rites avec les indiens Navajos. Une vraie rencontre avec ce féminin sacrée. C’est la restitution de ce voyage que je livre dans mon ouvrage sorti en 2020 :

« Femmes Sauvages – entre ciel et terre – entre terre et ciel » aux éditions L’œil de la femme à barbe . Il est illustré par des extraits de mon journal de bord et vingt grandes toiles en image, avec leur version, lumière du jour et l’autre, version luminescente.

Le travail de transformation intérieure était en route et jusqu’à aujourd’hui encore.  Les cinq années qui ont suivies ont été marquées par des  évènements d’une importance capitale auxquels il a fallu que je me confronte ».

 

Comment représentez-vous la féminité dans votre art ? Quels sont les critères ? S’agit-il d’une femme libérée, enfermée, élégante, sauvage, douce ou violente ?

« Je ne suis pas sûre que j’ exprime la féminité. J’exprime la femme sauvage, une femme extrêmement complexe et complète, qui sort des sentiers de la civilisation tout en y étant incluse. C’est une énergie qui va expérimenter des choses dans la matière avant tout et chercher à se réaliser en respectant les lois de la nature. Elle remet volontiers en question celles de la civilisation si elles sont sclérosantes et étouffantes pour l’humain. La femme sauvage va se battre pour toute condition oppressive ».

 

Enfin, je vous ai demandé de choisir des œuvres qui ont une certaine importance pour vous, pouvez-vous nous en dire davantage ?

« Dans ma série « Le voyage du héros » il y a la toile que je nomme « L’appel ». Elle signifie que l’être humain qui ressent son feu intérieur, énergie si particulière qui crée l’étincelle peut se mettre en marche. La personne recroquevillée représente la sécurité tranquille, mais fermée, puis il y a l’autre personnage en génuflexion qui la touche du doigt et l’appelle. L’aigle est le guide, l’animal qui vole haut et peut voir très loin, c’est le mouvement même représentant la future métamorphose. C’est une des étapes d’un processus. Si  l’on est courageux, honnête et engagé vis-à-vis de soi-même et des autres, l’on peut devenir le héros ordinaire de notre propre vie. Toutes ces histoires, comme des mythes, me permettent de me sentir vivante et utile, de trouver du sens à mon existence.

L’œuvre « Suivre le non rationnel, pardonner», signifie pour moi qu’il convient de faire confiance dans l’énergie féminine qui est celle du non rationnel. La raison en occident est omniprésente. Suivre le non rationnel est une autre façon d’avancer et d’appréhender les situations. C’est la question du lâcher prise sur l’envie tenace d’avoir raison, on lâche la raison et on arrive à pardonner, à se pardonner avant tout, c’est le langage du cœur.

L’œuvre « Marcher » est symbolique. La notion de se mettre en marche est cruciale pour moi.

« Se déplacer avec sa meute », c’est se déplacer avec sa famille de cœur, nos alliés mais aussi nos ennemis parfois. Lorsque l’on se met en marche ; on n’est jamais  tout seul ».