Texte de Claude EVENO

Pourquoi acquérir une peinture quand on n’est pas collectionneur ?
Il n’y a sans doute qu’une seule réponse : pour vivre avec elle. La relation qu’on établit avec une œuvre est toujours un peu amoureuse. On regarde un tableau comme un visage élu, à la fois miroir de soi et figure mystérieuse : panorama familier dont l’exploration n’a pas de fin. Pourtant l’instant initial, celui du désir d’acquisition, est une rencontre marquée par l’évidence, une séduction bien sûr, mais surtout une impression, très singulière pour chacun, de retrouvailles avec le territoire d’une rêverie personnelle. Cette rêverie, chargée d’une enfance et des expériences essentielles accumulées plus tard, tout cela étroitement entremêlé, c’est elle qui détermine l’attirance première et conduit le voyage que l’on fera dans la peinture après le premier regard, qui n’est qu’une porte ouverte sur un paysage qui reste à découvrir avec le temps. Ici un paysage organique, bien nommé non seulement à cause de sa matière, sorte d’inclusion végétale dans le support lui-même, mais surtout à cause des réminiscences bien vivantes qu’il favorise chez l’acquéreur, dont l’existence s’est déroulée en arpentant des paysages aux quatre coins de la Terre pour finir par transmettre ce qu’on peut en savoir par la pensée, dans une école. Mais pourquoi le choix de cette peinture-là, au sein d’une série ? Qu’est-ce qui put la distinguer aux yeux d’un « spécialiste » ? Une toute petite chose et pourtant de grande importance : un trait, un long et mince rectangle qui bouleverse le monde « organique » des formes souples du tableau pour y inscrire l’esquisse d’un tracé, d’une géométrie, et transformer ainsi la peinture en palimpseste où se déploie tout autant la mémoire des jardins que celle des paysages, des chemins dessinés dans la profusion végétale : une sorte d’allégorie offerte à la méditation d’un amateur des arts du territoire.

Claude EVENO, Urbaniste écrivain